Devoir surveiller des yakuzas de bas étage n'est vraiment pas la tasse de thé de Jama. Il y a plus intéressant à faire que de venir observer trois yakuzas. Si les bruits de couloirs sont vrais et qu'ils s'amusent à persécuter un lycéen lambda, un mauvais quart d'heure les attend. Les suivre toute l'après-midi n'a pas été très divertissant pour Jama. Il commençait à perdre patience et serait retourné chez lui, si les trois compagnons ne s'étaient pas dirigés vers un lycée. Alors comme ça, c'était donc vrai ? Cela représente toujours une déception pour le yakuza plus âgé, de se rendre compte que tous ne sont pas droits et fidèles aux principes du clan. Il attend patiemment, observant la scène qui est en train de se mettre en place au niveau d'un arrêt de bus. Un lycéen est seul et semble attendre un bus alors que les yakuzas se dirigent vers lui en rigolant bruyamment et en adoptant une démarche qui n'augure rien de bon pour l'élève. L'homme tatoué n'attend pas longtemps avant d'intervenir, ce début de scène suffisant à l'agacer profondément. La démarche assurée, il se dirige vers le petit groupe, ne cachant ni son arrivée, ni son regard sombre à destination de ses collègues.

- Salut les gars. Vous vous amusez bien ?

Son ton est froid et sa voix grave. Il semble calme mais pourtant il ne suffirait qu'un regard de travers de la part d'un de ces branleurs pour le mettre hors de lui.

Encore une journée de calvaire... J'en ai marre. J'en ai vraiment marre. Les idées de quitter le lycée, de changer de ville, de disparaître, m'ont traversé l'esprit de nombreuses fois. Je n'en peux plus, et je crois qu'un seul jour de plus d'harcèlement par ces connards m'amènera à accomplir une de mes idées. Laquelle ? C'est une bonne question...

J'ai réussi à éviter au maximum mes harceleurs aujourd'hui, mais je n'ai pas réussi à me concentrer en cours. Comme d'habitude, en fait. Dernièrement, je n'ai clairement pas l'esprit à suivre les cours. J'ai plutôt l'esprit porté vers ma survie mentale, ahah... Taegyun et Woseung me protègent aussi pendant la journée, mais là, je suis tout seul à attendre le bus, et c'est leur terrain de jeu préféré. Je suis à l'arrêt de bus, traînant sur mon téléphone que je range rapidement en voyant les gars arriver du coin de l'oeil. Je n'ai pas envie qu'ils le cassent encore plus, je n'ai pas l'argent pour le racheter. Vraiment pas.

Je baisse alors la tête, me mordant l'intérieur de la lèvre alors que j'entends ces rires qui me glacent le sang. Je déglutis difficilement, sentant mon corps commencer à trembler. Je me recroqueville un peu sur moi-même, attendant automatiquement des coups ou alors simplement leur toucher. J'entends une voix que je ne connais pas. Une voix qui me fait frissonner, et qui me fait encore plus peur que celle des autres.

"Bah ouais. Tu veux te joindre à nous ?"

J'entends un des gars l'engueuler à voix basse, comme quoi il ne comprend pas que "Jama" est à deux doigts de leur casser la gueule. Je relève rapidement le regard pour mettre un visage sur ce nom. Un gars avec des tatouages partout. Je sens ma gorge se serrer douloureusement, et je recule d'un pas. Il a l'air d'être le pire personnage que je n'ai jamais vu. Et vu le regard qu'il porte sur mes harceleurs, je n'aimerais pas être à leur place. Je prie simplement pour ne pas être prochain.

Jama observe les trois yakuzas en face de lui. Ils semblent déconcertés voir stupéfaits de le voir ici. Sauf un qui semble vouloir jouer au plus malin avec lui. Dommage, il est tombé sur le mauvais kyôdai à qui mal parler. Un regard noir de Jama lui fait perdre son sourire suffisant. Un pas vers lui lui fait baisser les yeux.

- Je ne déshonore pas nos principes. Tu as donc oublié la première règle ? "Tu n'offenseras pas les bons citoyens". Par contre, je suis sur que tu sais très bien ce qui arrive, à qui les transgresse.

L'un de ses compagnons, la tête baissée, chuchotte presque pour lui. "yubitsume". Le doigt coupé. Peu de clans appliquent encore les règles de manière stricte. Malheureusement pour eux, ce n'est pas le cas de leur clan, qui est encore assez vieux jeu.

- Partez et que je ne vous y reprenne jamais. Sinon vous aurez à faire au clan et à moi.

C'est peut-être cette deuxième menace qui est bien plus inquiétante. Peu de gens censés ont envie de se frotter à Jama. L'homme tatoué les regarde s'éloigner rapidement sans demander leur reste. Normalement, ce coup de pression devrait leur suffire à ne plus recommencer ce genre de conneries. Il se retourne finalement vers le lycéen, le découvrant tremblant et sûrement apeuré. Le yakuza tente de lui adresser un sourire rassurant, même si cela n'est pas sa compétence première.

- Tu n'as plus à t'en faire. Ca va aller ?

Non pas qu'il se soucie réellement d'un étranger. Il se soucie surtout du mal qu'ont pu causer ces trois yakuzas qui ternissent la réputation de leur clan.

Qu'est-ce que j'entends là...? Des règles de yakuza ouais... C'est bien ce que je pensais. Mon harceleur de lycée m'a ramené des yakuza, en Corée. Je crois qu'il me déteste vraiment, mais pourquoi ? Je n'en sais rien. Le yubitsume...? Qu'est-ce que c'est que ça... Je ne comprends pas le japonais, alors je ne peux pas traduire. Réfléchir à ça me fait me concentrer sur autre chose que sur leurs voix et que sur mes tremblements, donc je me sens un peu mieux.

Je relève discrètement le regard en entendant des gens s'éloigner, et je suis soulagé de voir que ces gens sont ceux qui étaient venus pour me frapper et m'insulter... Mais je ne suis pas tout seul. Je me retrouve avec l'homme tatoué. Qui me fait encore plus flippé que les autres, malgré le sourire sur ses lèvres que je devine... bienveillant ? J'écoute sa question, acquiesçant doucement malgré mes tremblements, et je viens m'incliner plusieurs fois aussi bas que je peux.

- M-Merci...

J'ai très peur de cet homme qui vient probablement de me sauver, oui.

Le yakuza, satisfait du coup de pression qu'il a mis à ses collègues, les regarde s'éloigner avant de se tourner vers le jeune homme. Il n'a vraiment pas l'air rassuré, ce qu'il comprend totalement. Ses tremblements montrent bien à quel point il doit avoir peur. Cela lui rappelle son agacement envers les trois branleurs. Normalement, ils devraient se tenir à carreau maintenant, sauf s'ils ont envie de se prendre une réprimande peu agréable.

- T'as pas à me remercier, c'est rien. Tiens. Ils devraient plus te causer d'ennuis, mais au cas ou, tu peux faire appel à moi.

L'homme lui tend une carte de visite assez sobre. Des écritures noires sur un fond blanc, uniquement son nom et son numéro de téléphone. Il espère que le lycéen n'aura pas besoin de le rappeler. Mais il aimerait être mis au courant si les conneries des trois yakuzas recommencent. Il se ferait un plaisir de les punir lui même pour leur conduite inacceptable.

- Ca va aller ?

Je relève légèrement le regard en sentant celui de l'homme posé sur moi. Je déglutis en croisant son regard, que je quitte bien vite pour le poser sur la carte de visite qu'il me tend. Je la saisis d'une main beaucoup trop tremblante, et je n'arrive pas à lire ce qu'il y a marqué dessus. Ma vision est floue, et je mets la carte dans la coque de mon téléphone (ça m'a pris quelques secondes oui.)

J'acquiesce à sa question, m'inclinant encore de nouveau. Mieux vaut trop que pas assez avec un... mafieux... Ahah. Le bus s'arrête devant nous, et je m'incline une dernière fois.

- Merci.

Avant de vite monter dans le bus, allant m'installer tout au fond à côté de la fenêtre. J'ai hâte d'être chez moi, et de téléphoner à Woseung histoire de pleurer un bon coup et de le mettre au courant.